Par Tarek Razek
Tarek Razek, directeur, programme de traumatologie pour adultes au CUSM décrit les retombées du travail international pour les patients canadiens. —Rapport d'une présentation à la conférence 2012 de l'IASI-CUSM
Le Dr Razek fait partie d’un groupe de médecins de guerre rattaché au Comité international de la Croix-Rouge et à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui fournit des équipes d’intervention en cas d’urgence et de catastrophe, et du personnel médical aux hôpitaux militaires.
Il serait quasi-inimaginable pour des chirurgiens traumatologues de ne pas travailler aux côtés d’organismes internationaux qui interviennent régulièrement sur les lieux de catastrophe. On considère souvent les traumas et les blessures comme les enfants pauvres de la médecine, et ce, même si les traumas représentent plus d’années de vie perdues et d’années de vie perdues corrigées du facteur invalidité que la tuberculose, le VIH et le paludisme combinés.
Systèmes de traumatologie
Dans le cadre de collaborations à long terme, je participe au développement de systèmes destinés à des organisations étrangères ayant des problèmes semblables aux nôtres. Nous avons appris à réduire l’incidence et les conséquences des blessures en mettant sur pied des systèmes de traumatologie régionaux. En 1993, le taux de mortalité due aux blessures de gravité moyenne au Québec était de 50 %. Avec la création de centres de trauma désignés et la réorganisation du flux des patients vers ces centres, ce taux n’était que de 7 % en 2007.
Nos connaissances dans ce domaine sont vastes, et pour les transmettre, nous avons établi des partenariats avec des organisations en Ukraine, à Ramallah (Palestine), à Kigali (Rwanda), à Dar es Salam (Tanzanie) et à Port-au-Prince (Haïti).
Simplifier les solutions
L’approche systémique adoptée au Québec repose sur des mesures d’amélioration de l’efficacité. Avec nos partenaires internationaux, nous avons créé une version simplifiée des bases de données sur les blessures, car plusieurs pays n’ont pas l’infrastructure voulue pour recueillir les mêmes données que nous. En travaillant avec ces pays, nous comprenons de mieux en mieux le type de données que l’on peut obtenir dans un environnement particulier, trouvons des moyens de simplifier la collecte et élaborons des outils d’analyse permettant d’évaluer l’efficacité en fonction d’un modèle standard, tout comme nous l’avons fait ici, mais en réduisant les exigences informationnelles.
En ce moment, nous travaillons avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour déployer dans diverses régions du monde ce système qui s’avère un outil très efficace pour l’établissement des politiques de santé. Avec de bonnes données sur la performance actuelle et des outils d’analyse des résultats, on peut mesurer les progrès. Ces outils ont été validés et jugés supérieurs à nos outils complexes en ce qui a trait à la prévision de la performance et des résultats.
Cette collaboration nous a appris à déployer un système de prise en charge des blessures dans un milieu austère, et nous mettons actuellement ce système simplifié en place dans le Nord du Québec, où de petites cliniques sont incapables d’obtenir les données qu’on recueille dans les centres de santé tertiaires.
Des formations peu techniques mais fort efficaces
Certains partenariats comportent un volet formation, et nous sommes invités à y participer sur le terrain. Par exemple, le chirurgien en chef de Kigali nous a invités pour discuter d’une aide éventuelle lié à la formation chirurgicale et aux systèmes de gestion des blessures. Nous avons élaboré plusieurs modèles simplifiés à partir de techniques de simulation rudimentaires, inspirés des principes utilisés ici, mais adaptés à des milieux austères. Ces nouvelles approches sont instructives non seulement pour nos partenaires, mais aussi pour nous.
Des étudiants nous ont accompagnés à Kigali et ont travaillé aux côtés des étudiants rwandais, aidant ces derniers à perfectionner leurs connaissances en médecine, y compris dans le domaine de la recherche liée aux bases de données mentionnées plus tôt. Cette expérience est très enrichissante pour nos étudiants.
Nous ne travaillons qu’avec des leaders locaux. Il ne s’agit pas de nos programmes, mais de programmes qu’ils veulent mettre sur pied dans leur propre environnement. Notre contribution se limite souvent à un apport de ressources humaines et de certaines compétences acquises grâce aux possibilités de formation phénoménales à notre portée. Le Rwanda ne compte que 13 chirurgiens généralistes qui, même s’ils le voulaient, ne pourraient à eux seuls assumer le travail clinique, la formation et l’élaboration de programmes de recherche.
Il existe toujours un important noyau de savoir-faire, à partir duquel nous préparons des programmes de formation du formateur afin de favoriser l’autosuffisance. Dans une première visite, nous enseignons le programme aux futurs formateurs. Dans une seconde, nous supervisons le déroulement du programme. Après cela, ils se débrouillent. Des groupes clés se sont constitués à Dar es Salam et à Kigali. Pour parfaire ses connaissances, le groupe de Kigali s’est rendu à Dar es Salam, où le programme est implanté depuis plus de 10 ans.
Soutenir la collaboration internationale
Dr Razek et ses collègues au CUSM, Mme Patricia O’Connor et Dr Renzo Cecere ont considéré comment leur organisation pourrait contribuer au développement des collaborations internationales et à la mise en oeuvre des innovations qui en découlent. Voici leurs recommandations :
- En Amérique du Nord, aucun établissement de haut niveau n’a la redondance voulue pour fournir des soins de haut niveau à l’autre bout du monde sur une base régulière. Les partenariats entre facultés d’une même université, hôpitaux d’une même ville et universités d’Amérique du Nord deviennent donc essentiels.
- Pour ramener les innovations au pays, il faut que celles-ci s’intègrent aux priorités de l’établissement.
- La collaboration internationale doit être considérée avec respect par l’hôpital et l’université. La reconnaissance des avantages réciproques ?découlant des partenariats devrait donner aux médecins et aux infirmières la « permission » de poursuivre ces activités.
- Le soutien de l’équipe de direction est indispensable à l’adoption des nouvelles idées. Cela exige une détermination à long terme.
- Il faut élargir la vision du CHU pour y inclure la collaboration internationale, et tous les échelons de la direction, jusqu’au ministère de la Santé, doivent y adhérer. Cela est crucial si l’on veut s’assurer d’avoir les ressources humaines nécessaires pour réaliser ces activités sans que la mission centrale de l’organisation, soit les soins à ses propres patients, ne soit jamais mise en péril.
- Les établissements devraient promouvoir la création de groupes de réflexion à l’interne, amenant ainsi des gens ayant des intérêts communs à se réunir et à générer des idées pour la communauté internationale.