Par Yanick Labrie
Yanick Labrie de l'Institut économique de Montréal examine le rôle du secteur privé dans les soins de santé au Québec. —Produit dans le cadre du programme 2008 de l'IASI-CUSM
Le système de santé québécois attire particulièrement l’attention depuis la décision Chaoulli rendue par la Cour suprême du Canada en juin 2005. Cette dernière a établi que, compte tenu de l’incapacité de l’État à soigner certains patients dans un délai raisonnable, l’interdiction de souscrire à une assurance médicale privée pour les soins monopolisés par le régime public contrevenait aux droits à la vie et à la sécurité personnelle garantis par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Les conséquences pratiques de cette décision ont eu moins d’ampleur que prévu, le gouvernement ayant décidé de l’interpréter de manière restrictive. Cependant, la décision a provoqué une remise en question du système de santé un peu partout au pays, surtout que le temps d’attente pour recevoir des soins ne semble pas s’être amélioré, et ce, malgré les ressources de plus en plus importantes affectées au secteur. Comme le souligne le rapport de l’Institut Fraser, intitulé Waiting Your Turn, au Québec, le délai moyen entre la visite chez l’omnipraticien et la consultation avec le spécialiste est passé de 7,3 à 19,4 semaines entre 1993 et 2007.
Depuis sa création, en 1999, l’Institut économique de Montréal (IEDM) a publié de nombreuses études portant sur les rouages du système de santé et l’évaluation de réformes possibles, qui s’inspirent de l’expérience d’autres pays. Le présent article dresse un bref portrait du fonctionnement du système de santé québécois en puisant dans les travaux récents de l’IEDM.
Le rôle actuel du secteur privé
Contrairement à ce que semblent croire la plupart des gens, le secteur privé occupe une place importante dans le réseau de la santé. En 2007, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les dépenses privées en santé au Québec ont totalisé 9,5 milliards de dollars, soit 1 236 $ par personne. La part du secteur privé représente 28,3 % des dépenses totales en santé, ce qui est comparable à la moyenne canadienne (29,4 %). Les dépenses privées sont principalement consacrées aux médicaments (38 %) et aux services non couverts par le régime public (32 %), notamment les services des dentistes, optométristes, massothérapeutes, physiothérapeutes, psychologues, etc.
Que peut-on se payer soi-même?
Le régime public n’assure pas tous les services médicaux et le gouvernement québécois peut exclure des services désignés. Certains services ne sont pas couverts parce que jugés non essentiels du point de vue médical (chirurgie esthétique, acupuncture, psychanalyse, chirurgie réfractive de l’œil, etc.), alors que d’autres le sont uniquement pour une clientèle particulière, déterminée selon l’âge ou les conditions économiques (les enfants de moins de 10 ans et les assistés sociaux pour les soins dentaires, par exemple). Il est également possible de payer, au sein du régime public, pour un meilleur confort (chambre privée, buanderie, cafétéria) ou une meilleure qualité (un plâtre classique est gratuit, mais on peut obtenir un plâtre en fibre de verre pour environ 50 $). Également, d’autres services sont assurés s’ils sont dispensés dans un centre hospitalier public (échographie, tomodensitogramme, imagerie par résonance magnétique, etc.). Les longues listes d’attente pour les examens IRM dans les hôpitaux expliquent l’existence d’un marché privé pour ces examens : dans les installations privées du Québec, on dénombre pas moins de 15 appareils IRM, soit près de la moitié des 32 appareils privés au pays.
Qui peut offrir des services privés?
Tout médecin québécois a la possibilité de se retirer du régime public d’assurance maladie, ce qui lui permet d’exiger la rémunération qu’il souhaite directement du patient. Cette option existe depuis l’établissement du régime public, mais seulement quelque 150 médecins, sur plus de 19 000, ont choisi cette voie. Par contre, les patients souhaitant consulter un médecin non participant doivent assumer eux-mêmes les coûts, car l’assurance privée est interdite. La loi adoptée par suite du jugement Chaoulli autorise l’assurance privée pour trois types de chirurgie (remplacement du genou et de la hanche, et extraction de la cataracte), bien que l’État puisse décider d’ajouter d’autres interventions à cette liste. C’est en partie la stricte séparation entre les systèmes public et privé qui explique pourquoi si peu de médecins choisissent de travailler dans le secteur privé : il est interdit aux médecins participant au régime public de recevoir des paiements privés pour des services assurés par le régime public.
Récemment, de nouvelles entreprises aux pratiques assez controversées se sont établies au Québec. Medecina offrait à ses clients un rendez-vous avec un spécialiste (du régime public ou non) dans les 72 heures, moyennant une somme variant de 100 $ à 300 $. Elle affirmait que les médecins de son réseau comblaient des annulations imprévues. La clinique privée Rockland MD facturait quant à elle des frais d’établissement, malgré le fait que certains de ses médecins participaient au régime public. Des enquêtes de la Régie de l’assurance maladie du Québec ont conclu à l’illégalité de ces pratiques et les entreprises ont dû corriger le tir. Par la suite, un hôpital public (Sacré-Cœur) a négocié une entente afin que ses médecins puissent utiliser les infirmières, l’équipement et ?les salles d’opération de Rockland MD.
L’IEDM continuera d’examiner les caractéristiques d’ordre économique et juridique de notre système de santé et de celui d’autres pays de l’OCDE afin de déterminer quels changements l’on pourrait apporter pour améliorer la productivité de notre réseau, et ce, en modifiant ou non la Loi canadienne sur la santé. Nous nous penchons sur plusieurs questions, notamment la possibilité de canaliser une capacité excédentaire de ressources humaines et matérielles vers la prestation privée de services; l’opportunité d’autoriser l’assurance privée pour certains services médicalement nécessaires; et la mesure dans laquelle la population québécoise accepte?rait un système où, moyennant une certaine somme, on pourrait obtenir un traitement plus rapide que dans le réseau public*. Il faudra approfondir notre réflexion sur ces enjeux pour mieux évaluer les possibilités offertes à la société québécoise à ce moment-ci.
* Un sondage réalisé par Léger Marketing et commandé par l’IEDM en septembre 2006 a révélé que près de 50 % des Canadiens et 60 % des Québécois accepteraient que l’État permette à ceux qui souhaitent payer pour des soins dans le secteur privé d’avoir un accès plus rapide, pourvu qu’on maintienne le système public universel.
Le modèle de Stockholm
Le Canada reste l’un des rares pays au monde où il existe toujours un monopole public de la prestation des soins de santé jugés médicalement nécessaires. L’existence d’un système privé parallèle est la norme dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, dont la France et la Suède.
L’IEDM a étudié les modèles d’autres pays, s’intéressant surtout aux réformes entreprises en Suède dans les années 1990. Dans ce pays, ce sont les gouvernements locaux qui sont en grande partie responsables de la gestion du système de santé. C’est d’abord à Stockholm, la capitale et la plus importante région administrative, que les réformes ont été entreprises. En 1992, le gouvernement régional de Stockholm mettait en place un programme grâce auquel les employés du secteur public pouvaient prendre en charge de manière indépendante la gestion de certaines unités de service. Puis, en 1998, tous les services médicaux publics (sauf les urgences) ont été mis sur le marché par appels d’offres. Aujourd’hui, plus de 200 fournisseurs de soins de santé de petite et moyenne taille ont remplacé le fournisseur monopoliste, soit l’État. Il s’agit dans bien des cas d’infirmières, déçues des mauvaises conditions de travail et du salaire médiocre, qui ont profité de l’occasion pour lancer leur propre entreprise. Également, un des sept hôpitaux de Stockholm a été privatisé à la fin des années 1990. C’est désormais le plus efficace et le moins coûteux de la capitale, avec une productivité qui dépasse de 10 % ou de 15 % celle d’autres hôpitaux.