Les provinces canadiennes ont créé différentes structures en vue de gérer la prestation des soins de santé. Pendant les années 1990, la plupart ont régionalisé les soins, accordant aux structures régionales une certaine responsabilité dans la détermination et la prise en charge des besoins de santé. Mais en 2008-2009, deux provinces se sont détournées des modèles régionaux. Don Ferguson, sous-ministre de la Santé, explique pourquoi le Nouveau-Brunswick a regroupé ses neuf régies régionales en deux entités. —Rapport d'une présentation à la conférence 2009 de l'IASI-CUSM

La population du Nouveau-Brunswick est équivalente à celle d’Ottawa, et les travailleurs du secteur de la santé comptent pour la moitié des fonctionnaires provinciaux. Le système de santé coûte de plus en plus cher et ses problèmes augurent mal de l’avenir. Depuis quelques années, nous essayons de comprendre les problèmes du système afin d’améliorer la situation. Ceux-ci se rapportent principalement à la gouvernance, à la viabilité financière et clinique ainsi qu’à la culture et à l’attitude.

Un système à réformer

Commençons par la gouvernance. Jusqu’à cette année, la province comptait huit régies régionales de la santé (RRS), qui fonctionnaient comme des systèmes quasi indépendants. Huit de tout : conseils d’administration, systèmes de paie, programmes de formation du personnel. Les soins n’étaient pas uniformisés, les temps d’attente variaient d’une régie à l’autre, l’acheminement des patients du petit hôpital d’une région vers l’hôpital tertiaire d’une autre était tout sauf harmonieux. Il y avait un manque de direction, une concurrence acharnée pour les services et les ressources, des déficits annuels récurrents : trop de bureaucratie et de cloisonnement pour une si petite province. Les dépenses en santé, soins aux personnes âgées compris, vont atteindre plus de 50 % des dépenses totales de la province dans cinq ou six ans. Le système croît à un rythme annuel de 8,6 %, ce qui dépasse de loin l’augmentation des recettes provinciales. Même si nous avions d’excellents résultats — ce qui n’est pas le cas —, la situation serait déplorable.

Comment expliquer une telle croissance, non planifiée, non approuvée et presque incontrôlable ? L’année dernière, on a ouvert 300 postes équivalents à temps plein en plein gel du recrutement. Ce nombre correspond à l’effectif total du ministère des Finances. Les dépenses augmentent partout, les jours de congé de maladie et les heures supplémentaires coûtent 63 millions de dollars par année et la productivité, exprimée en unités horaires, est la plus faible au pays. Nous pratiquons plus de tomographies assistées par ordinateur que partout ailleurs au pays.

Il y avait très peu de discipline financière dans le système régional. D’importants déficits qui augmentaient sans cesse, comblés année après année, ne faisaient que générer d’autres déficits. Avec toute son auto-importance, la santé raflait tout, anéantissant les autres ministères. Les gestionnaires de la santé, eux, ne se préoccupaient guère du budget.

Concernant la culture et l’attitude, on a négligé de définir clairement les rôles. D’un côté, les RSS ont tranquillement laissé grossir le système et de l’autre, le ministère de la Santé faisait de la microgestion, se mêlant de tous les problèmes et passant d’une crise à l’autre, ce qui l’empêchait bien sûr de porter un regard stratégique sur le système. Puis la méfiance régnait partout. Les rapports entre le ministère et les RSS étaient atroces, et guère meilleurs étaient ceux entre les médecins et le Ministère. En santé, on ne peut rien faire sans les médecins, et aucune relation fondée sur l’irrespect ne peut fonctionner. Au Nouveau-Brunswick, la dernière réforme s’est faite sans consultation, et ce, parce que la confiance était absente.

Réparer le système

Depuis quelques années, nous nous employons à réorganiser la gouvernance, établir des objectifs de croissance, favoriser la pérennité du système, en aligner les éléments pour améliorer la performance, et intervenir sur la culture et l’attitude. Nous en sommes encore aux premières étapes de la mise en œuvre.

Gouvernance

Le ministère de la Santé s’est d’abord penché sur la gouvernance et a entrepris une importante réorganisation en faisant passer de huit à deux le nombre de RRS et en créant trois entités : le Conseil de la santé, Ambulance Nouveau-Brunswick et l’Agence de services non cliniques partagés. Ensemble, ces entités vont planifier et mettre en œuvre un système pleinement intégré, et s’en tenir à leurs rôles respectifs. Les responsabilités du ministère de la Santé sont multiples : définition de la vision, direction stratégique, planification et conception, établissement des niveaux de financement, définition et surveillance des normes en collaboration avec les RRS, et non-ingérence dans les affaires des RRS.

Nous avons désormais une régie principalement francophone et une autre principalement anglophone (près de deux fois plus importante), dont les conseils ne sont pas élus. Elles ont pour mandat d’élaborer les programmes régionaux de santé et d’activités, de gérer les services cliniques et les soins de santé, et de collaborer l’une avec l’autre. Le Conseil de la santé est un nouvel organisme indépendant, chargé d’évaluer la performance du système et d’engager les citoyens dans un dialogue. Ambulance Nouveau-Brunswick a regroupé en un seul système les 54 fournisseurs de transport médical d’urgence de la province. L’Agence des services non cliniques partagés a pour mission de regrouper et de gérer tous les services non cliniques des deux RRS et de dégager des économies de 20 millions de dollars.

Pérennité du système

Nous avons réduit les cibles de croissance et, si nous les atteignons, nous les réduirons encore. Dans quatre ou cinq ans, nous voulons avoir en poche 600 millions de dollars de plus que nous en aurions si nous ne faisions rien, et consacrer cette somme à des secteurs autres que la santé. Cette approche est politiquement attrayante : il y aura moins d’argent dans le système que si nous ne limitons pas la croissance, mais les dépenses passeront quand même de 6 millions de dollars à 8,2 millions de dollars par jour.

Pour assurer la pérennité du système, nous devons faire des choix raisonnables et éclairés qui nous donneront le régime de santé le plus abordable et équitable qui soit, maintenant et pour l’avenir. Le régime comporte quatre dimensions : il est centré sur le citoyen ; il dégage des résultats optimaux pour la santé, à l’échelle de l’individu et de la population ; il fournit des services de qualité en temps opportun ; et il est efficace et abordable.

Au sein du ministère de la Santé, nous avons créé un bureau responsable de la pérennité du système. L’idée consiste à évaluer tout investissement dans les technologies, les programmes et les services en fonction de la pérennité. Avec cet outil d’évaluation, nous pourrons nous concentrer sur les priorités stratégiques et la pérennité dès l’étape initiale de la planification. Nous donnons au Conseil de la santé le mandat d’évaluer notre performance au regard des quatre dimensions de la pérennité, et ce, tous les ans.

Nous avons également l’intention de nous attaquer aux services infirmiers. Le fait que les postes d’infirmières ne soient pourvus qu’à 75 % explique le problème en bonne partie. La réponse qui s’impose est d’injecter plus d’argent pour encourager la formation d’infirmières et infirmiers, mais même la présidente du syndicat des infirmières ne croit pas que les postes seront pourvus à 100 % dans dix ans. Pour régler le problème, il faudra peut-être créer un système qui fonctionne avec 80 % des postes actuels, et nous avons élaboré un projet-pilote de « rationalisation » dans deux hôpitaux, un dans chaque RRS, afin de réaménager les salles et de déterminer si l’on peut concevoir un système exigeant un moins grand nombre d’infirmières.

La participation de la communauté aux soins de santé apporte de l’énergie et de l’argent au système, mais encourage une expansion fragmentaire qui rend celui-ci inefficace et coûteux. Le gouvernement doit travailler étroitement avec les diverses fondations pour bâtir un système de manière cohérente et non morceau par morceau.

Aligner le système sur la performance demandera des centaines de milliers de gestes, certains assez importants pour qu’ils aient un prix politique, mais de nombreux autres seront si petits que les gens remarqueront simplement que le système n’est plus aussi compliqué qu’avant.

Nous avons la feuille de route qui guidera notre travail au cours des cinq ou dix années à venir. Les six entités ont élaboré un cadre de planification conjoint et deux objectifs : intégrer le système en un seul et en assurer la pérennité. L’examen complet des programmes cliniques, amorcé par l’administration précédente, se poursuit. Nous voulons dresser la liste de tous les programmes et services mis en œuvre au fil des ans, car nous avons créé un monstre. Il nous faut maintenant revoir le mandat de ces programmes et services, leur modèle opérationnel, leur intégration ou rapport avec d’autres programmes, la duplication des services et les attentes en matière de performance et de résultats pour la santé. Le financement doit s’aligner sur les attentes de performance, et nous devons examiner la question des incitatifs. Nous devons aussi éliminer les incitatifs pervers : le financement des déficits, qui ne fait qu’entraîner d’autres déficits ; le financement en fonction du volume, qui ne contribue qu’à augmenter le volume ; le financement global, qui encourage le statu quo et décourage le contrôle des coûts, le ministère de la Santé finissant par engloutir la plus petite économie.

Le quoi avant le comment

Il est essentiel de distinguer le quoi du comment. En général, on passe tout de suite au comment. Mais quand les ressources financières et humaines sont limitées, il faut trouver des mécanismes novateurs qu’on intégrera de manière beaucoup moins explosive que si on commence avec le quoi. Prenons la problématique des petits hôpitaux régionaux. Ceux-ci ne sont pas viables sur les plans clinique et financier, ne sont pas toujours sécuritaires et manquent de personnel. Le Conseil de la santé invite donc la population à réfléchir à ses besoins et l’encourage à examiner attentivement la nature de ceux-ci, le quoi, avant de s’attaquer à la manière d’y répondre, le comment. Qui sait si l’on ne découvrira pas un modèle radicalement nouveau pour la prestation des soins ?

Évolution culturelle

L’enjeu le plus important a trait à la culture et à l’attitude. Nous devons mettre de côté nos ambitions personnelles et professionnelles, puis reconnaître que les choses ne peuvent continuer comme avant. Il faut un leadership de la part des politiciens, des RRS, de la Société médicale, des syndicats et des associations professionnelles. Il faut un leadership qui tire parti des efforts, de l’énergie et du savoir de ceux et celles qui travaillent dans la santé, qui encourage ces derniers à partager les tâches et à essayer d’améliorer le système. Dans les années 1980, les gouvernements savaient que les déficits budgétaires n’étaient pas viables, mais ce n’est que dans la décennie suivante qu’ils ont pu s’attaquer au problème, le public leur ayant demandé de passer à l’action. La même chose doit se produire dans les soins de santé.

Nous devons tous comprendre que les résultats sont importants, que les données probantes sont nécessaires, que les enjeux — petits, grands et moyens — peuvent coexister, que la mise en valeur d’une institution au détriment des autres peut affaiblir le système tout entier et que les services gouvernementaux ne se limitent pas aux soins de santé. Nous devrions exiger davantage de notre système, compte tenu de tout l’argent que nous y mettons. Je crois que nous pouvons changer la culture si nous travaillons ensemble. La viabilité du Nouveau-Brunswick, en tant que province, sera menacée si nous ne réglons pas le dossier de la santé.

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La réorganisation au Nouveau-Brunswick : Pourquoi et comment ?

Enjeu : Réduire les coûts et les dédoublements, éliminer les écarts régionaux dans l’accès, accroître la mobilité des médecins et des patients au sein du système.

Méthode : En 2008, les conseils élus de huit bureaux régio­naux de la santé ont été éliminés et remplacés par deux conseils d’administration multidisciplinaires — membres nommés et rémunérés — qui relèvent directement du ministre de la Santé. Ce dernier a agi comme fiduciaire pendant la transition. Les deux nouveaux bureaux régionaux ont un vaste mandat, soit d’assurer la prestation des services de santé au Nouveau-Brunswick. Ils sont res­ponsables de la gestion et de la presta­tion d’une variété de services, dont les soins hospitaliers, le centre de santé communautaire, l’hôpital extramural, la toxicomanie, la santé mentale et la plupart des services de santé publique.

L’administration gouvernementale a également regroupé les services non cliniques, notamment l’admi­nistration, les finances, les technologies de l’information, l’approvisionne­ment et la buanderie, et les a confiés à Facilicorp NB, une société du secteur public. On compte créer un conseil provincial de la santé, qui agira comme chien de garde du système.