En France, le gouvernement est très centralisé, les secteurs public et privé coexistent, et les mesures incitatives prennent de l'ampleur. Alain Hériaud, directeur général du CHU de Bordeaux, souligne les défis que présentent ces tendances aux directeurs de centres hospitaliers publics. —Rapport d'une présentation à la conférence 2009 de l'IASI-CUSM

La France est très centralisée et peu de choses s’y passent sans que Paris ne l’ait décidé. Cela est vrai pour la santé et bien d’autres domaines encore. Même l’embauche d’un médecin hospitalier — décision effectivement prise par le directeur général et la communauté médicale de l’établissement — doit être approuvée dans un vague bureau à Paris. Lorsqu’un médecin du secteur hospitalier passe au secteur privé, les mesures bureaucratiques étant ce qu’elles sont, il s’écoule parfois un an avant l’entrée en service du nouveau médecin. Voilà l’œuvre du couple bureaucratie-centralisation, et nous espérons que les nouvelles lois qui viennent d’être adoptées contribueront à alléger ce fardeau.

La politique française est fort centralisée, mais sa mise en œuvre s’appuie sur un réseau déconcentré. Il ne faut pas confondre ici déconcentration et décentralisation. Ce sont les représentants des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) nommés par le gouvernement central qui sont responsables de la mise en œuvre des politiques élaborées par ce dernier. Mais les ARH ne sont pas aussi responsables qu’elles le seraient dans un système décentralisé, en ce sens où elles sont chargées de mettre en œuvre la politique nationale à l’échelle régionale et de coordonner les activités des secteurs public et privé dans leur région.

Ententes contractuelles

Les ARH disposent de quelques moyens en vue d’organiser la collaboration publique-privée, dont l’un est l’impartition. Ainsi, un hôpital peut conclure une entente contractuelle avec une ARH, dans laquelle sont précisés des objectifs et les moyens d’atteindre ceux-ci. Au terme du contrat, on évalue les résultats obtenus par rapport aux objectifs initiaux.

En tant que directeur d’un centre public, je suis convaincu qu’on ne peut se passer du secteur privé. Toute situation monopolistique est un gage de non-qualité du fait que l’on n’a pas à se battre pour s’imposer. De nos jours, le secteur privé français est très compétent. Les médecins qui y sont embauchés sont bons, puisqu’ils ont été formés par nous. La population fait appel au privé pour un certain nombre de services de santé. Il ne s’agit pas des soins les plus lourds ni les plus aigus, ni pour les cas de maladies rares ou très graves, qui exigent des soins spécialisés que seuls les médecins hospitaliers et le secteur public sont en mesure de fournir, car la rentabilité du traitement n’est pas la priorité. Depuis une quarantaine d’années, le secteur privé s’est développé en mettant l’accent sur le confort et la qualité de l’accueil, en plus de la qualité des soins, et c’est grâce à cela que nous avons pu améliorer les services offerts par le système public.

On instaurera sous peu un processus contractuel dans les centres individuels de santé publique. Auparavant, les services des hôpitaux publics étaient très cloisonnés et indépendants les uns des autres, y compris au sein d’une même spécialité. Récemment, nous avons adopté une vision plus globale et élaboré des missions au sein des hôpitaux, avec des contrats établis entre la direction générale et chaque mission. Ces contrats définissent les objectifs à atteindre pour les pathologies à traiter, les modalités de traitement, les stratégies visant à favoriser les soins ambulatoires et, bien sûr, les fonds nécessaires pour accomplir le tout. À la fin de l’année, nous évaluons les résultats et faisons le bilan. En France, les hôpitaux ont été trop long?temps administrés et insuffisamment gérés. Ce nouveau processus contractuel nous rapproche d’un système davantage axé sur la gestion.

Dans notre système hospitalier, la part du secteur public est d’environ 65 % et celle du secteur privé, de 35 %. La chirurgie, notamment, relève en grande partie du privé. Dans certaines villes, elle a pratiquement disparu du secteur public. Celui-ci conserve la médecine, le suivi et les soins aux personnes âgées. Les patients sont entièrement libres de choisir un hôpital public ou privé, et peuvent passer de l’un à l’autre à leur gré.

Financement

En France, le système de sécurité sociale a été établi au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et, aujourd’hui, il est chroniquement déficitaire. Il est financé par les salariés et les employeurs, et les fonds sont redistribués aux salariés qui les utilisent pour les soins primaires et les soins hospitaliers. Les déficits du secteur hospitalier sont particulièrement élevés. À la création du système, la société française était en expansion, elle créait des emplois et il y avait même de l’inflation économique. Aujourd’hui, le système de la collecte de l’assurance maladie souffre de la situation économique, ce qui se traduit par un recours accru à d’autres payeurs.

En règle générale, l’assurance maladie publique couvre à peu près 80 % des besoins de santé, les 20 % restants étant pris en charge par l’assurance privée ou les patients eux-mêmes, la part de ces derniers devenant de plus en plus importante. Les 80 % du régime public englobent tout le système de santé. Dans les hôpitaux, le pourcentage est différent, car l’assurance maladie assume une partie plus importante, les soins y étant plus lourds et donc, plus coûteux. Cependant, nous avons constaté une augmentation de la part de payeurs autres que l’assurance publique. La hausse demeure modeste, aux environs de 8 % ou 8,5 % des dépenses totales en 2008, mais la tendance est là.

Mesures incitatives

En France, les fournisseurs sont payés à la pathologie, suivant un système que l’on appelle le T2A, ou tarification à l’activité. C’est relativement nouveau, mais aujourd’hui, quoique le financement global demeure pour les soins psychiatriques et les soins de longue durée, toutes les activités médicales, chirurgicales et obstétricales sont couvertes à 100 % par le T2A. Selon moi, nous sommes allés un peu trop loin et un peu trop vite en incluant toutes les activités dans ce système de tarification, car la liste des tarifs est extrêmement longue. En 2008, il y avait 800 tarifs. Et en 2009, comme les gens trouvaient que les distinctions entre les activités n’étaient pas suffisamment précises, le nombre est passé à 2 500 ! C’est un système très difficile à administrer. Certes, le paiement à l’activité est une amélioration par rapport à un mode de tarification globale plus ou moins aveugle qui ne prenait pas en compte le type de problème traité. Mais à vouloir aller trop loin, on se retrouve devant un système si complexe qu’il devient ingérable.

En France, l’autonomie professionnelle est importante et cohabite avec le système public. La situation se complique toutefois du fait que les médecins salariés du secteur public peuvent travailler dans le secteur privé un certain nombre d’heures par semaine. Cette double pratique a des avantages et des inconvénients. Elle élargit le choix des patients, mais augmente la concurrence sur le plan des ressources humaines. Les médecins des hôpitaux du secteur privé font plus d’argent. Cela oblige des gens dans ma position à mettre en valeur les avantages professionnels de l’exercice de la médecine dans le secteur public, par exemple le leadership médical dans la gestion des hôpitaux du secteur public, l’exposition à des cas variés et intéressants, un milieu qui échappe à la dictature du profit, des installations de recherche de premier ordre et une carrière enrichissante qui marie l’exercice de la médecine, l’enseignement et la recherche.