Par Joseph Ragaz
Joseph Ragaz de la BC Cancer Agency présente des données qui indiquent que les variations pan-canadiennes dans l’intégralité et l’accessibilité ont une incidence sur les résultats pour la santé. —Rapport d'une allocution prononcée à la conférence 2011 de l'IASI-CUSM
Au cours de la dernière décennie, le taux de mortalité due au cancer du sein a connu une forte régression dans le monde occidental, et des centaines de milliers de vies ont été épargnées. Mais la réduction n’est possible que si le diagnostic et les thérapies systémiques sont réalisés en temps opportun, suivant une approche fondée sur l’expérience clinique.
L’amélioration des résultats en matière de cancer du sein se fait par des étapes progressives, dont de multiples initiatives de recherche, un financement important, l’inestimable participation de nombreuses patientes aux premiers essais contrôlés randomisés et l’adoption des résultats de la recherche dans les lignes directrices de pratique clinique.
Les changements qui ont permis l’amélioration des résultats ont commencé à apparaître au début des années 1970, grâce à des changements tels que l’approbation de traitements systémiques consécutifs à la chirurgie primaire, dont la chimiothérapie CMF auxiliaire et le tamoxifène. Ont suivi des améliorations en ce qui concerne les agents chimiothérapeutiques, notamment les anthracyclines, puis les taxanes et les inhibiteurs de l’aromatase et, plus récemment, les produits biologiques.
Les chercheurs ont tenté de quantifier l’apport de chaque amélioration à la réduction de la mortalité (voir la figure 1). L’apport du tamoxifène, un anti-oestrogène, est de près de 30 % s’il est pris systématiquement (Oxford-based Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group), et celui de la chimiothérapie, de 28 % (compte non tenu du rôle des hormones). La radiothérapie offre une réduction similaire. La mammographie de dépistage et l’éducation, qui permettent de poser un diagnostic précoce et de traiter plus rapidement, jouent également un rôle important dans la réduction de la mortalité, avec un apport de 25 % ou 30 %.
Parallèlement à ces progrès, nous assistons à l’émergence de la recherche en biologie tumorale, qui permet d’identifier les gènes responsables de la croissance de types précis de tumeurs et de développer ensuite des anticorps monoclonaux capables de neutraliser un gène donné. Dans le cancer du sein, l’identification du gène HER2 (récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain) a donné lieu à la fabrication de Herceptin (trastuzumab), un anticorps monoclonal dirigé contre HER2. L’ampleur des bienfaits du Herceptin dans les traitements adjuvants n’avait pas été anticipée, et on s’attend à ce que le médicament fasse reculer encore davantage la mortalité due au cancer du sein.
Le progrès au service des Canadiennes
Nous observons au pays des écarts considérables dans l’adoption et l’utilisation des facteurs à l’origine de la baisse de la mortalité. Les lignes directrices de pratique clinique sont le mécanisme grâce auquel les patients ont accès aux soins optimaux. Comme le montre la figure 2, en Colombie-Britannique, la mortalité a commencé à reculer significativement à partir du moment où les lignes directrices relatives aux thérapies systémiques ont été adoptées dans l’ensemble de la province.
Écarts dans l’adoption des lignes directrices
Il existe des écarts intra et interprovinciaux considérables dans l’adoption des lignes directrices, et ceux-ci ont une incidence marquée sur la baisse de mortalité due au cancer du sein. Historiquement, les lignes directrices ont été adoptées plus facilement dans les régions urbaines que dans les régions rurales. On a constaté que la mortalité due au cancer du sein était jusqu’à deux fois plus élevée en milieu rural en raison même de la faible adoption des lignes directrices. (Hébert-Croteau, CMAJ, 1999, vol. 161, no 8, p. 951-955).
En collaboration avec Santé Canada, l’Université de la Colombie-Britannique évalue actuellement les taux de mortalité en fonction du niveau d’accès aux soins oncologiques dans différentes provinces entre 1980 et 1990. Dans les provinces de niveau 1 (par ex. la Colombie-Britannique), l’uniformité des soins était la plus élevée, avec peu d’écarts entre régions urbaines et rurales (grâce en bonne partie à un programme oncologique communautaire efficace) ; dans les provinces de niveau 2 (par ex. l’Ontario), on observait quelques écarts entre les régions urbaines et rurales et dans les provinces de niveau 3 (par ex. les Maritimes), les écarts étaient les plus marqués.
Écarts dans les résultats
Les résultats de la Colombie-Britannique se démarquent pour plusieurs raisons. Dans le cadre du programme d’oncologie communautaire, introduit dans les années 1970, des oncologues se rendaient régulièrement dans la plupart des régions rurales pour assurer les soins. Des centres oncologiques où travaillaient des généralistes et des infirmières ont été établis partout dans la province afin de faciliter la prestation de soins conformes aux lignes directrices élaborées par la BC Cancer Agency (BCCA), à Vancouver. Il y a donc assez longtemps que la province a adopté une norme unique en matière de soins. Mentionnons aussi que la Colombie-Britannique est la seule province dont la coordination du budget total des soins oncologiques est confiée à un seul établissement, la BCCA.
La figure 3 compare les taux de mortalité due au cancer du sein de 1970 à 2004 en Colombie-Britannique, en Ontario et dans les provinces de l’Atlantique. Les résultats sont tracés relativement à l’année 1970, pour laquelle les taux de mortalité normalisés selon l’âge ont été fixés à 100 %. En Colombie-Britannique, une importante baisse de la mortalité se dessine déjà dans les années 1980, peu après l’arrivée des traitements systémiques. En revanche, le recul de la mortalité en Ontario et dans l’ensemble du Canada ne s’observe que beaucoup plus tard, soit entre 1990 et 2000. Les provinces de l’Atlantique, elles, commencent à rattraper les autres seulement vers 2007.
Ces résultats reproduisent les écarts observés dans les niveaux d’uniformité dans les soins oncologiques et reflètent l’accès variable aux traitements recommandés dans les lignes directrices. Et en plus des écarts dans les taux de mortalité, l’accès réduit aux soins optimaux donne lieu à un plus grand nombre de mastectomies, de tumeurs avancées et de chimiothérapies.
Accessibilité et temps d’attente
Dans le traitement du cancer et d’autres maladies, les outils diagnostiques de pointe, les tests génétiques et les médicaments sont devenus des éléments indispensables et interdépendants. Les délais dans l’approbation (une responsabilité fédérale) et le remboursement (une responsabilité provinciale) des nouveaux tests et médicaments soulèvent des questions relatives à l’accessibilité et ont d’importantes conséquences sur les résultats pour la santé et la vie des Canadiens.
Alors que la génétique et la classification moléculaire des maladies nous ouvrent de nouvelles voies en matière de stratégies de traitement et de prévention, ces délais risquent de créer des écarts encore plus marqués entre ceux qui ont et n’ont pas accès aux tests et traitements les plus récents. Les délais dans la mise en œuvre de traitements oncologiques optimaux coûtent de l’argent et des vies, et contreviennent au principe d’accessibilité de la LCS.
Dans le domaine des soins oncologiques, c’est évident que pour respecter les principes de la LCS, nous devons redoubler nos efforts pour que les progrès de la médecine soient appliqués aux soins beaucoup plus rapidement et équitablement dans l’ensemble du pays.