Par Yanick Labrie
Yanick Labrie de l’Institut économique de Montréal (IEDM), souligne que le système de santé québécois, malgré l’injection de fonds additionnels, est encore moins efficace qu’il y a quelques années. Il s’intéresse à la participation accrue du secteur privé aux soins de santé en France et présente l’analyse réalisée par l’Institut. —Rapport d'une présentation à la conférence 2008 de l'IASI-CUSM
Difficile de nier la contre-performance du système de santé au Québec. En mai 2008, un quotidien révélait que le temps d’attente dans les urgences dépassait maintenant 16 heures, le pire résultat enregistré depuis 2002-2003. Et selon l’Institut Fraser, le délai entre la consultation avec l’omnipraticien et le rendez-vous chez le spécialiste est passé de 7,3 à 19,4 semaines entre 1993 et 2007. Enfin, l’IEM a établi que l’utilisation des salles d’opération n’était que de 46 %.
Ces problèmes s’aggravent même si les fonds consacrés à la santé augmentent. Depuis 2000, le gouvernement du Québec a accru ses dépenses de 65 %, celles-ci étant passées de 15,5 milliards de dollars à 25 milliards. De toute évidence, nos problèmes ne seront pas réglés par le seul apport de fonds, d’où l’importance d’optimiser nos ressources.
Des solutions existent et beaucoup ont été mises de l’avant par les différentes commissions fédérales et provinciales, mais aucune mesure unique n’agira comme remède miracle.
Plusieurs rapports, dont le récent rapport Castonguay, laissent entendre qu’une participation accrue du secteur privé à la prestation de soins médicalement nécessaires contribuerait à la productivité du système. Le ministre de la Santé Philippe Couillard appuyait l’idée d’impartir au secteur privé la prestation de certains services chirurgicaux, afin de réduire le temps d’attente dans le réseau public. Au début de 2008, l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et la clinique privée Rockland MD ont ainsi établi un partenariat public-privé.
Or, le débat porte principalement sur la capacité du secteur privé d’améliorer la productivité dans la prestation des soins sans mettre en péril l’égalité d’accès et l’universalité.
La participation du secteur privé en France
Pour faire le point sur ce débat, l’Institut a examiné l’expérience française, où l’on a récemment permis au secteur privé de fournir des services de santé au sein d’un système qui est financé presque exclusivement par l’État et qui encourage la concurrence entre fournisseurs. Les questions suivantes ont encadré notre analyse :
- Quelle est l’ampleur de la participation du secteur privé ?
- La participation privée menace-t-elle les principes d’universalité et d’accessibilité ?
- Quelles en sont les répercussions sur le coût et la qualité des soins ?
En France, le secteur privé joue un rôle très important dans la prestation des soins, surtout en milieu hospitalier. En 2005, on dénombrait 1 052 établissements privés à but lucratif — soit 37 % de tous les hôpitaux — qui comptaient 91 191 lits — soit 21 % de l’ensemble des lits. Or, cette participation est deux fois celle des États-Unis, où le secteur privé représente 15 % de tous les hôpitaux et 12 % des lits.
Ces établissements privés, qui se spécialisent dans la chirurgie et les soins de courte durée, traitent quelque sept millions de patients chaque année et effectuent 60 % de toutes les chirurgies. Ainsi, le secteur privé à but lucratif réalise la moitié des chirurgies du système digestif, deux chirurgies cardiaques sur cinq, les trois quarts des chirurgies de la cataracte et trois accouchements sur dix.
Cette importante participation du secteur privé ne signifie pas que l’accès aux services est réservé aux particuliers qui ont les moyens de payer. Tous les citoyens français ayant besoin de soins médicaux et hospitaliers sont couverts par une assurance maladie publique, qui rembourse les trois quarts de toutes les dépenses de santé et 92 % du coût de l’hospitalisation. Le reste est couvert par une assurance complémentaire et les patients eux-mêmes. Depuis 2000, le régime d’assurance maladie de base a été complété par la couverture médicale universelle (CMU), qui assure les personnes ayant un revenu annuel inférieur à 8 644 euros (environ 14 000 $). La moitié des 4,8 millions de bénéficiaires de la CMU qui doivent être hospitalisés choisissent un établissement privé.
Un accès universel sans rationnement
Contrairement au Canada, la France gère l’accès universel sans rationner les services par le biais de listes d’attente. Pour ce faire, le système français n’élargit pas la capacité comme telle, mais préfère employer des mécanismes qui incitent les établissements à utiliser leurs ressources médicales de manière à traiter le plus grand nombre de cas possible dans le laps de temps le plus court possible.
Les modes de financement favorisent de tels incitatifs et, depuis 2004, la tarification à l’activité a progressivement remplacé le financement historique dans les hôpitaux publics. Son principal avantage est de permettre aux hôpitaux d’être remboursés en fonction du nombre et de la complexité des cas traités, et non en fonction d’un budget global. Les établissements sont donc financièrement récompensés pour leur productivité et encouragés à rechercher des moyens d’améliorer la qualité des services.
La logique qui sous-tend ces mécanismes concurrentiels est simple. Lorsque les patients ont le choix de leur fournisseur de soins, comme c’est le cas en France, ils ont tendance à préférer les centres offrant un meilleur service. Et les centres de santé soucieux de leur rentabilité voient les patients comme une source de revenu. Les cliniques et les hôpitaux privés n’ont donc aucun intérêt à lésiner sur la qualité, car, en bout de ligne, des soins de qualité inférieure éloigneront les patients et réduiront leurs recettes.
La concurrence dans le secteur hospitalier est l’un des principaux facteurs qui permettent à la France de contrôler l’augmentation de ses dépenses de santé, malgré le vieillissement de la population (la hausse annuelle moyenne des dépenses par habitant entre 1995 et 2005 s’est établie à 2,3 %, la plus faible des pays de l’OCDE après l’Allemagne). La France obtient généralement de meilleurs résultats pour la santé que le Canada, tout en contrôlant mieux ses coûts. La concurrence incite les établissements à améliorer constamment la qualité de leurs services et à se différencier de leurs compétiteurs, et les oblige à innover et à trouver des moyens de réduire leurs coûts. Grâce à cette caractéristique, le système français se classait bon premier, parmi 191 pays, selon l’évaluation de l’Organisation mondiale de la santé réalisée en 2000.
L’expérience française montre que les systèmes de soins de santé, et particulièrement les soins hospitaliers, peuvent être publics et universels même quand les soins ne sont pas fournis exclusivement par des établissements du secteur public. Dans un système axé sur le patient et sur l’amélioration continue, un ensemble diversifié d’établissements publics et privés, avec et sans but lucratif, peut se traduire par une flexibilité et une concurrence qui profitent à tous les citoyens.