Par Charles Gutteridge
Charles Gutteridge, directeur clinique national de l’informatique, fait le bilan du programme national du Royaume-Uni et s'interroge sur son évolution probable. —Rapport d'une allocution prononcé à la conférence 2010 de l'IASI-CUSM
Au Royaume-Uni, les efforts consacrés à la technologie de l’information (TI) en santé au cours du siècle dernier visaient à implanter des systèmes au sein d’établissements distincts qui, presque délibérément, n’étaient pas reliés entre eux. Cette situation a dramatiquement changé sous l’administration de Tony Blair, avec le programme national de TI. Le scénario prévoyait une dorsale nationale qui permettrait à tous les fournisseurs de soins de se relier et d’échanger des données, par divers systèmes. Il a fallu environ 10 ans pour implanter cette dorsale nationale, appelée « réseau N3 ». Entièrement sécurisée et appuyée par un réseau à très large bande passante, elle permet à quelque 50 000 établissements et fournisseurs d’accéder à différents dépôts de données.
La figure 1 illustre l’architecture de la dorsale N3. Au bas se retrouvent les dépôts de données, y compris le dossier de soins sommaire et une base de données démographiques. Ceux-ci sont reliés aux systèmes de gestion de l’identité, de la messagerie, des soins, des données démographiques, des ordonnances et des rapports. Chaque citoyen vivant au Royaume-Uni dispose d’un numéro unique délivré par le « National Health Service » (NHS), qui permet de relier toute l’information pertinente à des fins de recherche et de soins.
Les progrès réalisés sur le dossier de soins sommaire ont été fonction du rythme auquel les omnipraticiens étaient disposés à télécharger des parties de leurs propres dossiers au dépôt national. Les omnipraticiens s’inquiètent de la confidentialité des dossiers des patients et de leurs propres processus et on s’interroge sur la pertinence de rémunérer le téléchargement de ces dossiers. On a récemment condensé le dossier afin d’en faciliter le téléchargement. Ces dossiers serviront aux soins d’urgence et de médecine générale et l’information se limitera aux données démographiques, aux allergies, aux réactions indésirables aux traitements antérieurs ainsi qu’aux médicaments prescrits.
« HealthSpace »
Chaque citoyen peut consulter son dossier par le portail « HealthSpace ». Analogue à l’outil « Health Vault » de Microsoft, celui-ci a été mis en place par le NHS. Quelque 270 000 citoyens du Royaume-Uni ont actuellement un compte HealthSpace, ce qui représente une très faible proportion par rapport à la population totale de 65 millions d’habitants. On a délibérément multiplié les embûches à l’ouverture d’un compte pour des raisons de confidentialité et de protection des renseignements personnels. Pour ouvrir un compte, la personne doit se présenter à son médecin munie de trois pièces d’identité. On pourrait sous peu instaurer un nouveau processus d’adhésion sur le Web afin de favoriser l’adoption de ce système par les patients.
Omnipraticiens reliés
Depuis la fin des années 1990, presque tous les omnipraticiens travaillant au Royaume-Uni ont un ordinateur relié au ministère de la Santé. Cette mesure résulte du Cadre de résultats de qualité (« Quality Outcomes Framework »), initiative en vertu de laquelle pour être payés, les médecins devaient envoyer de l’information au ministère de la Santé. Tous les omnipraticiens introduisent désormais de l’information structurée, de type SNOMED, après chaque consultation. (Conçu par le College of American Pathologists, le SNOMED, pour « Systematized Nomenclature of Medicine » représente la base terminologique multilingue en matière de soins de santé la plus complète du monde). Le réseau de soins primaire ne communique avec le réseau de soins secondaire que très rarement. Le secteur hospitalier a été le théâtre de progrès et de mesures d’innovation beaucoup moins hardis et ses efforts se sont butés à une lente adhésion par les cliniciens. Pour leur part, les fournisseurs ont éprouvé de la difficulté à fournir des logiciels éprouvés accessibles par la dorsale.
Tous les omnipraticiens ont recours à des systèmes informatiques pour saisir les dossiers des patients. Quelque 8 000 cabinets sont reliés à la dorsale N3 et peuvent se transférer des dossiers, si les patients doivent se déplacer. Au cours des cinq dernières années, quelque 1,2 million de dossiers de patients ont ainsi été transférés. Les ordonnances délivrées par les cabinets d’omnipraticiens sont transmises aux pharmacies par voie électronique. Il suffit désormais aux patients d’aller chercher leurs médicaments à la pharmacie en présentant une pièce d’identité. Ce système permet aussi de renouveler les ordonnances. Les hôpitaux ont beaucoup moins recours au système d’ordonnance électronique.
Le système « Choose and Book » permet à chaque patient de choisir son fournisseur de soins secondaire avec son généraliste. Quelque 28 millions de rendez-vous en clinique externe auprès de fournisseurs de soins secondaires ont été pris avec cette application.
Des changements en vue
Le nouveau gouvernement de coalition mettra fin au programme national. La vision d’origine a été largement réalisée et l’on dispose désormais d’un système national auquel chacun peut intégrer ses systèmes. Le défi consiste aujourd’hui à mieux faire fonctionner ces systèmes ensemble, à offrir des incitatifs pour en favoriser l’adoption et à accentuer le développement des systèmes de TI en milieux hospitalier et secondaire.
L’annonce, le 20 octobre 2010, de la revue approfondie des dépenses a marqué un important changement politique au Royaume-Uni. La présente administration s’est engagée à modifier la nature de l’État providence. Jusqu’à présent, on s’attendait à ce que l’État subvienne aux besoins de chacun, les responsabilités individuelles étant relativement limitées. La nouvelle administration est déterminée à réduire la taille de l’État et à confier à chaque citoyen un rôle beaucoup plus important et des responsabilités accrues. Le gouvernement a agi très rapidement. Dans les six mois de son élection, furent présentés trois livres blancs sur le thème « Libérer le NHS ».
Libérer le NHS
Les livres blancs visent à investir les patients de pouvoirs et à faire en sorte que ceux-ci se retrouvent au centre des processus et des transactions liés aux soins de santé. On recherche notamment un accès facile aux services de santé, la possibilité de compter sur un traitement personnalisé et un engagement à l’égard de la sécurité et de la qualité. « Aucune décision à mon sujet sans que je n’y participe » constitue la devise.
Plus de choix et de contrôle
Le livre blanc intitulé « Greater Choice and Control » décrit comment, sur la plan des politiques, le Royaume-Uni permettra à chaque citoyen de choisir son établissement et son médecin. Si un tel objectif a déjà été recherché par l’administration précédente, peu de progrès ont été réalisés en ce sens. Tant que tous les citoyens n’auront pas véritablement compris ce que font les médecins, les hôpitaux et les centres de soins primaires, il leur sera extrêmement difficile de faire un choix éclairé et judicieux au sujet des personnes qu’ils doivent consulter et où celles-ci se trouvent.
La révolution de l’information
Le livre blanc intitulé « The Information Revolution » examine diverses avenues pour permettre aux citoyens d’accéder à une partie de cette information. L’objectif des cinq prochaines années consiste à améliorer la qualité, l’intégralité, la disponibilité et l’utilisation des données. Les patients pourront consulter tous les dossiers de soins cliniques et sociaux. Les données structurées introduites après-coup seront remplacées par des données cliniques initiales, en fonction des mécanismes de paiement. L’information sur la qualité du service sera plus simple, de sorte que chacun puisse s’en servir pour planifier sa trajectoire de soins. Seront aussi améliorées les données destinées aux organismes de réglementation. Les données de qualité concernant les soins primaires seront reliées aux systèmes de soins secondaires, des normes détaillées en matière d’information améliorant l’interfonctionnement.
Alors qu’elle s’apprête à engager des politiques susceptibles de provoquer des changements majeurs, l’administration a renforcé certaines institutions dont on considère généralement qu’elles ont un apport positif.
Le National Institute for Clinical Effectiveness (NICE) et le National Institute for Health Care Research (NIHCR), qui ont tous deux modifié en profondeur la façon dont travaillent les médecins et le personnel infirmier au Royaume-Uni, demeurent. Le Information Centre sera renforcé et transformé en outil d’administration et de centralisation des données. La constitution du NHS, qui a été publiée il y a deux ans et qui définit les engagements de cet organisme, continuera de jouer un rôle prédominant, à l’échelle nationale.
Décentralisation des budgets et des responsabilités
Ont été proposées des mesures perturbatrices afin d’accélérer les changements. Le principal changement concerne l’abolition, d’ici un an, du système centralisé de prestation des soins délégué par le Parlement au ministère de la Santé, aux responsables stratégiques ainsi qu’aux groupes de soins primaires. Les omnipraticiens seront invités à former des consortiums et à faire l’achat de soins par leurs propres réseaux. Près des trois quarts du budget actuel du NHS, soit 80 milliards de dollars, sera distribué à des consortiums de généralistes. On estime que ceci devrait améliorer l’efficacité et la rapidité de la médecine générale, en plus de favoriser la concurrence et l’efficience des soins secondaires. Sera implanté un nouveau mécanisme de régulation économique, succédant au Monitor, qui assurera la qualité au sein des Foundation Trusts. Cette nouvelle entité jouera un rôle beaucoup plus important sur le plan économique et interviendra comme jamais auparavant auprès des établissements hospitaliers et des chaînes d’approvisionnement en proie à des difficultés.
Les mécanismes d’exécution en santé publique seront de nouveau confiés aux responsables locaux. Réinventé, le principe des soins assurés par les responsables locaux, propre à l’Angleterre victorienne, pourrait représenter un très bon moyen pour parvenir, par exemple, à joindre une population locale présentant des problèmes d’obésité et de diabète. Les responsables locaux pourront préparer des interventions visant l’accès aux terrains de jeux, aux terrains de sport, etc. Jusqu’à présent, ce volet échappait à leur mission. Enfin, le NHS sera scindé et des citoyens assumeront certaines parties de celui-ci sous la forme d’entreprises sociales sans but lucratif.
Qualité et flux des données
Le dossier de soins est la principale source de données qui permet d’acquérir de l’in?formation pertinente, laquelle peut servir tant à offrir des services qu’à fournir de l’information aux patients. Les flux de données changeront au cours des trois prochaines années. Chaque établissement de médecine générale et de soins en milieu hospitalier produit actuellement un rapport statistique sur les épisodes de santé. Les établissements transmettent au Commission Control d’autres données sur les infections liées aux soins de santé, les indicateurs d’amélioration de la qua?lité, les installations, les coûts et les activités ainsi que les performances générales du NHS, en même temps que des données de base sur l’organisation et l’environnement des patients.
Au cours de la prochaine année, les citoyens auront accès à de l’information beaucoup plus détaillée sur les fournisseurs sur le site Web « NHS Choices ». De la même façon, le système « Choose and Book » offrira de bien meilleures informations sur les patients externes. D’autres indicateurs seront instaurés en rapport avec les délais d’attente, le traitement des accidents et des urgences et les ambulances, tandis que sera améliorée la qualité de l’information concernant les procédures et les diagnostics. D’ici deux à trois ans, la population aura aussi accès, par le truchement de « NHS Choices », à des renseignements beaucoup plus pertinents sur les résultats relatifs au cancer, aux maladies du cœur et à d’autres problèmes de santé.
Enfin, les activités des cliniciens seront reliées aux sommes engagées par le NHS et le processus de délégation. Ces deux aspects ont été scindés depuis trop long?temps et les médecins s’étonnent toujours du coût de leurs activités et se demandent ce qu’ils pourraient faire pour les limiter.