Par Ron Liepert
Les provinces canadiennes ont créé différentes structures en vue de gérer la prestation des soins de santé. Pendant les années 1990, la plupart ont régionalisé les soins, accordant aux structures régionales une certaine responsabilité dans la détermination et la prise en charge des besoins de santé. Mais en 2008-2009, deux provinces se sont détournées des modèles régionaux. Ron Liepert, ministre de la Santé, explique pourquoi L’Alberta a complètement éliminé ses structures régionales pour confier la prestation des soins à un organisme central. —Rapport d'une présentation à la conférence 2009 de l'IASI-CUSM
Au cours des dernières années, aucune province n’a opéré un virage aussi radical que l’Alberta et le Nouveau-Brunswick, et il est bien possible que nos homologues nous regardent en se demandant si nous allons réussir ou non. Essentiellement, l’Alberta a dissous ses neuf régies régionales de la santé ainsi que les conseils responsables du cancer, de la santé mentale et de l’abus d’alcool et de drogues, les regroupant sous Services de santé Alberta, un système unique de prestation des soins qui a pour mandat de fournir des services équitables à tous les Albertains, peu importe la région dans laquelle ils vivent.
On a expliqué cette décision de bien des façons mais, selon moi, le but était de renverser le cloisonnement et la fragmentation qui s’étaient développés dans les soins de santé en Alberta, non pas par des moyens tortueux, mais par simple évolution. Cela a créé des obstacles à la prestation des soins fournis par les diverses entités. Le cloisonnement ne touchait pas seulement les secteurs du cancer et de la santé mentale, mais aussi les régions. Au départ, l’idée était de promouvoir une saine concurrence entre les régions dans la coordination des soins de courte durée, de la santé de la population et des soins prolongés. Des régions individuelles sont devenues des leaders dans certains types de soins. Mais ce qui m’a frappé au moment d’être nommé à ce ministère il y a 18 mois, c’était la réticence de certaines régions à adopter les stratégies gagnantes d’autres régions.
Une concurrence malsaine
La concurrence n’était pas constructive et n’a pas amélioré l’accès aux soins. Prenons l’exemple des soins néonataux, un champ d’activité qui exige une collaboration soutenue entre les établissements. En Alberta, les régions de Calgary et de la Capitale (Edmonton) comptaient environ les trois quarts de la population et hébergeaient les principaux centres de santé universitaires. Avec le temps, la relation entre les deux régions s’était tellement détériorée que la région de la Capitale n’appelait pas Calgary lorsqu’elle avait besoin d’assistance, mais Saskatoon. Et le premier appel de la région de Calgary n’était pas dirigé vers Edmonton, mais vers le Montana. Or, il y a deux ans, une mère de Calgary a donné naissance à des quadruplés dans un hôpital du Montana, alors qu’elle aurait pu être prise en charge à Edmonton. Cet exemple est assurément le plus ahurissant, mais non le seul, de la détérioration de la relation entre les régies régionales.
La structure régionale plaçait les membres des conseils dans une situation très délicate. Les conseils se voulaient un modèle de gouvernance au bénéfice des contribuables ; cependant, tous les membres vivaient au sein d’une communauté et croisaient régulièrement leurs voisins. Il était donc difficile pour eux de ne pas faire valoir les intérêts de leur communauté, même si cela se faisait au détriment des contribuables. Nous avons pris une décision audacieuse au printemps de 2008 en abolissant les conseils régionaux.
Une saine gestion
La fusion des Services de santé Alberta (SSA) est la plus importante de l’histoire canadienne : une opération de 8 milliards de dollars qui touche quelque 900 000 employés ainsi que des médecins et d’autres fournisseurs dont le travail dépend du fonctionnement adéquat du système. Nous avons nommé un conseil dont les administrateurs ont le profil de gens aptes à gérer une opération de 8 milliards de dollars. On a critiqué ce conseil, disant qu’il aurait dû comprendre plus de praticiens de la santé, mais je crois que le savoir-faire de ces derniers se rapporte au diagnostic et au soin des patients. Les administrateurs, eux, doivent savoir comment gérer une entreprise de 8 milliards de dollars.
L’équipe de direction de SSA est maintenant en place. Nous avons conservé la crème des anciennes régies régionales. Nous avons embauché un directeur général originaire de l’Australie, Stephen Duckett, et un directeur financier originaire de la Colombie-Britannique, et nous recrutons actuellement à l’extérieur du pays un vice-président qui sera responsable de la stratégie. Les structures de gouvernance et d’administration sont également établies. Nos services médicaux d’urgence ont été transférés à SSA et font désormais partie intégrante du système. Il est temps de fournir des soins plus efficients et d’améliorer l’accès — de manière rentable. Seule Terre-Neuve consacre plus d’argent à la santé, par habitant, que l’Alberta. Nous dépensons quelque 30 millions de dollars par jour et nous devrions en avoir pour notre argent. Il faut améliorer l’accès, le patient doit se trouver au sommet de l’organigramme, et non en bas comme c’est le cas maintenant. Trop souvent, les fournisseurs affirment qu’ils agissent au nom du patient, mais lorsqu’on tente de hisser ce dernier dans l’organigramme, il se trouve toujours une association professionnelle, un syndicat ou un groupe d’intérêt pour faire opposition.
C’est le temps de changer
Les changements soulèvent souvent de la résistance pour la seule raison qu’une pratique existe depuis 40 ou 50 ans. Nous avons besoin de travailler sur les attitudes face au changement et sur la culture qui encourage les citoyens à croire qu’ils ne peuvent être traités ailleurs qu’à l’hôpital, où la seule personne apte à les soigner est un médecin ou une infirmière autorisée. Le rythme du changement de culture dans le secteur de la santé ne suit pas la demande des patients, ni les percées médicales en matière de médicaments et de technologies. Les structures administratives ou les frontières souvent érigées par les collèges professionnels viennent alourdir le travail des fournisseurs. Des changements doivent être apportés là aussi.
Les Albertains me demandent souvent pourquoi nous ne pourrions nous inspirer de pays qui ont établi des systèmes de santé viables, par exemple la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Suède. Ma réponse est très simple : nous ne sommes pas un pays. Nous devons nous conformer à la Loi canadienne sur la santé qui, selon moi, est une loi dépassée qui mériterait d’être revue. En fait, la Loi définit très peu de choses, mais crée dans l’esprit public un mythe qui fait obstacle au changement. Elle suppose que les soins de santé se limitent aux hôpitaux et aux médecins.
Nous devons engager une véritable discussion, et non une rhétorique politique, afin de permettre aux Canadiens de comprendre la réalité qui nous attend, par exemple le taux d’obésité qui double à chaque génération et le fait qu’un Canadien sur cinq aura plus de 65 ans en 2020. Ce sont les vrais enjeux et ce sera la pro?chaine génération qui en fera les frais. Nous devons aplanir les obstacles et travailler avec les associations professionnelles et syndicales pour réexaminer les champs d’activité. Nous avons besoin d’équipes de professionnels qui travaillent vraiment ensemble pour soigner les patients et qui ne font pas seulement les transférer d’un spécialiste à un autre. Il est temps d’innover afin d’améliorer la qualité des soins dans un système financé par l’État. Faute d’y parvenir, nous nous retrouverons avec un système toujours plus inefficace, avec des pénuries de personnel à tous les échelons, des listes d’attente qui s’allongent, des coûts insoutenables et des patients au bas de l’organigramme.