Par Patricia Lynch, Maurice McGregor
Le Dr Maurice McGregor, cardiologue au CUSM et membre fondateur de Canadian Doctors for Medicare, présente les points forts du système de santé canadien. Mme Patricia Lynch, vice-présidente des Relations avec les gouvernements d’État de Kaiser Permanente, discute les avantages du système américain.
Les soins de santé aux États-Unis évoquent des images terrifiantes : des millions de personnes privées d’assurance, le refus d’assurer des affections préexistantes, des gens obligés de vendre leur maison advenant une maladie grave, etc. Voilà à quoi pensent les Canadiens lorsqu’ils entendent parler d’un « régime de santé privé », et les palpitations qui accompagnent ces « préjugés » sont d’importantes entraves au changement. Pourtant, beaucoup de Canadiens traversent la frontière chaque année pour obtenir des soins qui ne sont pas disponibles ici et bon nombre de nos professionnels de la santé qui ont travaillé aux États-Unis ont été impressionnés par la qualité des soins. La comparaison américaine, qu’elle suscite l’effroi ou l’envie, a joué un rôle si important dans le débat canadien que l’IASI-CUSM a cru nécessaire de présenter les mérites des deux systèmes de santé, cherchant ainsi à comprendre comment obtenir les résultats que nous envions à nos voisins, sans importer les facteurs que nous abhorrons par-dessus tout.
Dr Maurice McGregor: les points forts du système de santé canadien
La différence entre nos deux systèmes de santé n’est pas le résultat du hasard, mais de divergences fondamentales dans nos valeurs, nos priorités et le rôle de l’État dans nos activités respectives. Après tout, nos démocraties ont suivi des parcours ayant peu en commun : aux États-Unis, une révolution et le rejet de l’autorité royale et au Canada, un long processus d’émancipation.
Les différences culturelles
Il n’est donc pas étonnant que les Canadiens soient portés à attendre de l’autorité centrale qu’elle assurer le bien-être de ses citoyens, à la différence des Américains qui préfèrent l’individualisme farouche et l’initiative personnelle. Nos deux économies sont capitalistes, mais au Canada, le penchant pour la réglementation et les mesures sociales est plus marqué. En fait, notre système de santé est presque socialiste dans sa philosophie. « À chacun selon ses besoins. »
Cependant, chaque pays reconnaît les avantages de son voisin et on assiste en ce moment aux pressions d’un puissant groupe américain qui vante le système canadien, alors qu’ici, certains appuient la privatisation à l’américaine. Examinons ce que chaque pays envie dans le régime de l’autre.
Un avantage considérable du système canadien est son économie. Dans les années 1970, à l’adoption du régime public d’assurance maladie, le Canada et les États-Unis consacraient le même pourcentage de leurs PIB respectifs à la santé, à savoir 7 %. Aujourd’hui, les Américains y consacrent 5,5 % de plus que nous et l’écart grandit. La couverture universelle constitue égale?ment un avantage pour nous, alors que plus de 47 millions d’Américains n’ont pas d’assurance maladie et que des millions d’autres ont une couverture inadéquate. Pour les Canadiens, l’avantage le plus enviable du système américain est l’accès aux soins au moment opportun, sans délai d’attente (pour ceux qui peuvent le payer).
Qu’est-ce que le Canada pourrait emprunter aux États-Unis pour améliorer ses soins, particulièrement en ce qui a trait aux délais d’attente ? Bien sûr, si l’on augmentait ne serait-ce que d’une fraction notre niveau de dépenses pour se rapprocher du leur, on éliminerait rapidement les délais. Mais il y a peu de chances que cela se produise dans un proche avenir. Quoi d’autre alors ?
Les forces du marché
Il ne fait aucun doute que les forces du marché donneraient lieu à certains avantages, mais seulement pour les Canadiens capables de payer et au détriment des moins fortunés. Compte tenu de la pénurie de personnel dans la santé, le secteur privé ne pourrait aller de l’avant sans faire appel à la main-d’œuvre du secteur public ou, pire encore, de pays du tiers monde.
Mais même en l’absence de pénurie de main-d’œuvre, aucune donnée, si ce n’est l’espoir, ne permet d’affirmer que le souci de rentabilité suffirait à réduire les coûts et à optimiser les soins. Par exemple, l’étude réalisée aux États-Unis par Woolhandler et ses collaborateurs (2005) a montré que les frais administratifs des organisations de soins de santé intégrés (OSSI) à but lucratif s’établissaient à 19 %, contre 13 % pour les organisations sans but lucratif (et 1 % pour le régime public canadien). Dans la méta-analyse effectuée par Devereaux en 2004, les services offerts dans les hôpitaux appartenant à des investisseurs coûtent 19 % de plus que ceux des hôpitaux sans but lucratif. Par ailleurs, le souci de rentabilité ne semble pas donner de meilleurs résultats pour la santé. Dans deux études publiées en 2002, Devereaux et son équipe ont constaté que les taux de mortalité corrigés du risque étaient plus élevés dans les hôpitaux et les unités de dialyse à but lucratif.
Que les établissements privés coûtent plus cher n’est pas étonnant. Les hôpitaux appartenant à des actionnaires sont censés maximiser les profits et non les minimiser. De même, le souci de rentabilité incite les hôpitaux privés à attirer des patients dont la santé est relativement bonne, ce qui leur coûte moins cher, et à diriger les patients chroniques, plus coûteux, vers d’autres hôpitaux.
La capacité d’adaptation : un avantage américain
Les soins de santé à but lucratif possèdent cependant une caractéristique enviable : leur capacité d’adaptation. Le marché libre, version américaine, peut réagir rapidement à une demande accrue. Par exemple, si les temps d’attente pour une chirurgie de la hanche augmentent et qu’on peut en tirer un profit, l’équipement sera acheté, les infirmières et les chirurgiens seront embauchés et les temps d’attente seront éliminés, pour ceux qui peuvent payer bien sûr.
Au Canada, en revanche, il n’y a aucun incitatif financier à répondre à une hausse de la demande. C’est même le contraire qui se produit : compte tenu de son budget global, l’hôpital qui effectue 100 nouvelles interventions coûteuses sera déficitaire et son directeur général sera remercié. Il est donc très difficile de répondre au changement dans notre système.
Un remède existe pourtant. La plupart des pays développés, dont les É.-U., ont abandonné les budgets globaux et les ont remplacés par des budgets déterminés, en tout ou en partie, par le nombre d’actes médicaux pratiqués. Ce dernier mode de financement comporte d’importants désavantages, dont il ne sera pas question ici, mais le principe, du moins pour les interventions pour lesquelles il existe de longs délais d’attente, pourrait inspirer des développements utiles à notre système.
L’avantage de la prévention
Comme le modèle américain repose largement sur l’assurance privée, il est plus facile de mettre l’accent sur la prévention des maladies. En fait, il est payant pour une organisation comme Kaiser Permanente de favoriser la prévention, tandis qu’au Canada, chaque service de santé, y compris les mesures de prévention, est financé à même le budget global.
Prenons un exemple. Jusqu’à récemment, nous avions au Canada un nombre à peu près adéquat de gastro-entérologues. Puis, il a été décidé de faire le dépistage du cancer du côlon dans presque toute la population tous les trois ou cinq ans. Du jour au lendemain, il y a eu pénurie de gastro-entérologues. Dans le système américain, plus flexible, le spécialiste pourrait embaucher et former des infirmières auxiliaires qui, sous sa supervision, l’aideraient à absorber la demande accrue. Dans notre système plus rigide, une telle adaptation serait un tour de force. Nous aurions là un modèle à copier pour accroître la capacité d’adaptation de notre système au changement.
En conclusion, je crois que les Canadiens ont élaboré le système qui leur convient le mieux et ne devraient surtout pas le laisser se faire grignoter par les systèmes de soins à but lucratif d’inspiration américaine. Cela ne veut pas dire, au contraire, que nous n’ayons aucune leçon à tirer de nos voisins.
Patricia Lynch : les avantages du système américain
En matière d’accès, les systèmes canadien et américain ont fait des choix très différents. Aux États-Unis, nous contrôlons l’accès par la capacité de payer. Le pays compte 47 millions de personnes à faible revenu qui ne sont pas assurées, et des millions d’autres qui sont sous-assurées. Aucune loi ne dicte qu’il faut souscrire une assurance ni fournir une assurance. Le choix d’offrir une assurance maladie dans le cadre d’un régime de rémunération revient entièrement à l’employeur, et cette pratique a été adoptée pendant la Deuxième Guerre mondiale pour contourner le contrôle des salaires : au lieu d’une augmentation, l’employeur offrait un régime d’assurance maladie. La plupart des personnes non assurées travaillent pour des entreprises qui n’offrent pas de couverture médicale ou gagnent un revenu insuffisant pour acheter de l’assurance privée.
Outre l’assurance fournie par l’employeur ou souscrite individuellement, l’État offre un régime public pour les personnes défavorisées (Medicaid). En théorie, c’est un régime très généreux, mais les bénéficiaires peinent à trouver des fournisseurs de soins primaires, car le régime Medicaid paient ces derniers très chichement et la plupart des fournisseurs ne sont pas tenus de participer au régime. Pour les cas graves, des services sont offerts par les urgences, qui sont dans l’obligation de traiter les gens, peu importe leur capacité de payer.
L’avantage du régime d’assurance maladie
S’adapter aux réalités des soins de santé exige un leadership politique, et les régimes exploités aux É.-U. comportent ici un léger avantage. Les régimes de santé, un produit commercial, servent d’intermédiaires entre les électeurs d’une part, et le gouvernement ou les payeurs d’autre part. Ils peuvent agir sous le radar politique. Les joueurs les plus importants sont les trois ordres de gouvernements (fédéral, État, municipal), dont les dépenses de santé (Medicare, Medicaid et leurs propres régimes d’employeurs) comptent pour 44 % des dépenses de santé totales. Ils se procurent la couverture médicale offerte à leurs membres auprès de régimes de santé.
Les régimes de santé s’appuient sur des ententes contractuelles comportant un ensemble d’avantages. Le contrat stipule des conditions, par exemple un temps d’attente raisonnable pour un rendez-vous médical, une consultation avec un spécialiste et une chirurgie, un hôpital situé à une distance raisonnable, de l’information sur les résultats, la satisfaction des patients et le coût. Les régimes doivent attirer une vaste gamme de fournisseurs afin d’être concurrentiels et disposent d’incitatifs en vue de maximiser la rentabilité et la qualité.
Si les fournisseurs ou les consommateurs sont insatisfaits parce que les temps d’attente sont trop longs ou que les fournisseurs ne sont pas suffisamment payés, ce ne sera pas le gouvernement, mais le régime même qui sera mis en cause. Le gouvernement établit des mesures et des objectifs que les régimes de santé sont tenus de respecter et d’atteindre. C’est ce qui motive l’innovation.
Bien que les régimes de santé constituent un produit découlant d’un système de marché, des systèmes publics à payeur unique y font aussi appel, notamment aux Pays-Bas, en Israël et en Allemagne, où des régimes concurrentiels assurent la prestation des services en vertu d’une couverture universelle financée par l’État. Aux États-Unis, les personnes âgées sont également assurées par des régimes de santé (Medicare) relevant de l’État.
Une couverture universelle pour l’avenir
Les États-Unis sont exposés à un risque moral dans la mesure où tous ses citoyens n’ont pas accès à l’assurance maladie. C’est un énorme enjeu politique. La plupart des gens reconnaissent que le système actuel ne fonctionne pas et que la couverture devrait être universelle. À l’heure actuelle, les régimes d’employeur assurent leur personnel sans dépistage médical. Cependant, les individus qui veulent acheter directement une police sont soumis à des examens médicaux et l’assureur peut refuser de les assurer.
Sans couverture universelle, il faut effectuer un dépistage médical pour faire en sorte que le bassin d’assurés est équilibré, seul moyen de garantir la capacité de payer de l’assureur. Sans dépistage médical ou obligation d’avoir une assurance, les gens achèteraient de l’assurance seulement lorsqu’ils s’attendent à en avoir besoin, ce qui est le choix économique rationnel : il y aurait alors un nombre disproportionné de personnes malades se procurant de l’assurance et les coûts augmenteraient en flèche. Il faut donc trouver une raison impérieuse pour que tout le monde soit assuré.
Étant donné la nouvelle administration et la pression qui s’exerce sur le gouvernement en matière de coûts, je suis optimiste et je crois qu’on fera de sérieux efforts pour adopter la couverture maladie universelle aux États-Unis dans un proche avenir. Je crois que les États-Unis vont continuer d’intégrer les régimes de santé comme cela se fait en Europe.
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Les participants à la conférence ont été sondé sur les meilleures et les pires caractéristiques des systèmes canadien et américain.
Le meilleur du système américain
- Innovation
- Technologie de pointe
- Accès à des soins de qualité
- Vitesse du changement/adaptabilité
- Volonté d’expérimenter
- Efficacité
- Choix
Le pire du système américain
- Injustice
- Exploitation des défavorisés
- Surveillance des coûts par les assureurs
- Contrôle des décisions médicales par les assureurs
- Absence de couverture universelle
- Recours aux tribunaux
- Coûts élevés
Le meilleur du système canadien
- Universalité
- Accès
- Efficacité d’un payeur unique
Le pire du système canadien
- Temps d’attente
- Pénurie de médecins
- Investissements insuffisants
- Couverture des médicaments insuffisante