Par Bernard Merkel
Bernard Merkel de la Commission européenne souligne six points à considérer dans l’analyse des modèles européens utiles à la réforme des soins de santé au Canada. —Rapport d'une présentation à la conférence 2008 de l'IASI-CUSM
1. Les moyennes européennes ne sont pas pertinentes
Ce que nous appelons l’Europe compte près de 450 millions de personnes, 27 systèmes de santé nationaux et, dans la plupart des pays, des services de santé largement délégués aux régions. Ainsi, la moyenne se compose d’excellents systèmes, dont ceux de la France et de la Suède, et de systèmes épouvantables. Par ailleurs, les inégalités nationales sont importantes ; par exemple, concernant l’espérance de vie des hommes, il y a 14 ans de différence entre le meilleur pays, la Suède, et les pires, la Lettonie et la Lituanie.
2. L’universalité et l’égalité d’accès ne sont pas remises en question
Au sein de l’UE, la responsabilité de l’État en matière de soins ainsi que les principes d’universalité, d’égalité d’accès et de solidarité ne sont jamais remis en question. Le seul débat se rapporte à la manière de fournir les soins dans la pratique. On ne s’attend pas de l’État qu’il participe activement à la gestion des soins, mais aucun pays membre n’a même songé à renoncer à sa responsabilité et à confier les choses au secteur privé. L’engagement de l’État n’est pas appelé à changer ; au contraire, on le consolide au moyen de divers énoncés et déclarations juridiques.
3. L’assurance pour tous
Il peut y avoir de la concurrence entre les fournisseurs d’assurance, mais tous les citoyens sont assurés d’une manière ou d’une autre. Les pays gèrent la santé en fonction de différents modes de financement, et tous relèvent de la responsabilité générale de l’État en termes de santé et de couverture universelle. Il existe trois principaux modes de financement : les recettes fiscales, les charges sociales et une combinaison des deux.
4. Les pays font appel à différents moyens pour rationner les services de santé
Dans certains pays de l’UE, l’omnipraticien agit comme gardien de l’accès au système ; dans d’autres, les patients ont directement accès aux spécialistes et aux hôpitaux. Également, dans certains pays, les délais d’attente constituent un enjeu important ; dans d’autres, comme en France et en Allemagne, la capacité médicale est suffisante (parfois excédentaire) pour répondre à la demande.
5. Au sein de l’UE, les dépenses de santé varient énormément
Contrairement aux pays de l’OCDE, qui sont principalement des pays riches, certains pays de l’UE sont assez pauvres ; leurs dépenses en santé sont moins élevées et représentent un faible pourcentage du PIB.
6. Les pays de l’UE fournissent un soutien social étendu aux personnes souffrant de maladies chroniques et d’invalidité
Cela signifie que pour l’UE, les soins de santé sont considérés comme un investissement et non seulement une dépense. Des données assez nombreuses montrent que l’insuffisance de dépenses de santé entraîne de longs délais d’attente, des soins inadéquats, des départs hâtifs à la retraite ou l’abandon du marché du travail et, finalement, de graves problèmes économiques. Les pays de l’UE peuvent démontrer qu’il vaut la peine de consacrer davantage à la santé pour éviter l’énorme coût socio-économique du maintien par l’État de personnes malades ou invalides qui, ne faisant plus partie de la population active, sont confiées aux soins de leur famille.
Les enjeux actuels de l’UE
Ces six facteurs déterminent le contexte au sein duquel les pays de l’UE abordent différents problèmes, en fonction de leurs systèmes de santé respectifs. À la Commission européenne, notre rôle consiste à améliorer le fonctionnement des soins de santé dans leur ensemble, en reconnaissant toutefois que nous ne pouvons créer une entité viable si les systèmes de santé de certains pays ne fonctionnent pas. Cela est vrai pour la santé publique (une surveillance inadéquate des maladies transmissibles dans un pays entraînera d’importants problèmes dans d’autres) et pour les systèmes de santé (un système qui se démantèle et met en péril l’économie d’un pays créera des problèmes pour d’autres pays). La CE déploie actuellement des efforts sur trois plans : la transférabilité, la qualité et les ressources humaines.
Transférabilité
Trois raisons impérieuses nous poussent à améliorer la transférabilité des régimes au sein de l’UE : le désir d’être traité près de chez soi (en Europe, cela veut souvent dire dans un autre pays), l’accès rapide aux soins et la disponibilité de soins spécialisés. Une solution pour des pays comme le Royaume-Uni, où les délais d’attente sont longs, consiste à permettre aux gens d’aller se faire soigner dans des pays qui ont la capacité voulue. Cela est surtout important pour les maladies rares.
À l’instar du Canada, l’Europe a eu sa part de jugements qui ont modifié les politiques. Le plus récent concernait une femme britannique qui avait besoin d’un remplacement de la hanche et ne voulait pas attendre six mois. Elle a payé l’intervention en France et demandé au gouvernement du R.-U. de la rembourser, mais sans succès. Cependant, la Cour européenne a renversé la décision du gouvernement britannique, établissant que la chirurgie était médicalement nécessaire et que la femme avait le droit d’être remboursée.
Sur la base de ce jugement et d’autres, les citoyens des pays de l’UE ont le droit de se faire traiter à l’étranger et d’être remboursés par leur propre pays. La CE travaille à mettre en place un système qui facilitera cette pratique et améliorera la collaboration entre les systèmes de santé.
Sécurité des patients
La CE est en train d’élaborer des lignes directrices sur la sécurité des patients, qui prendront en compte les erreurs médicales, les infections nosocomiales et d’autres problèmes. À l’heure actuelle, on considère que seulement quatre pays membres possèdent l’infrastructure et la formation nécessaires pour promouvoir la sécurité des patients.
Professionnels de la santé
Les différences salariales entre l’Europe et l’Amérique du Nord sont énormes, tout comme celles qui existent entre l’Europe et les pays en développement. En ce moment, les pays se disputent la main-d’œuvre, et les changements démographiques vont exacerber la migration. La CE examine des mesures visant à s’assurer que l’Europe forme suffisamment de professionnels de la santé et les utilise le plus efficacement possible.